« .... aaaaaaa AH ! »

C'est un cri, c'est un râle qui s'échappe de sa bouche alors qu'il s'éveille en sursaut et que sa tête, qu'il lève avec vigueur, se frappe contre le plafond. Ou ce qu'il croit être le plafond. Un grognement de douleur passe ses lèvres et il repose sa tête sur l'oreiller, ouvrant ses yeux dans le noir total. Pas un rai de lumière, rien. Rien dans ce coffre où, cette boîte où il ne peut bouger, s'étirer, rien. Il vient de s'éveiller d'un horrible cauchemar pour constater qu'il est milieu d'une horreur bien réelle. Le souffle lui manque (il n'y a pas d'air ici), ses yeux cherchent un point où s'accrocher (il n'y a pas de lumière ici), son cœur se débat dans la poitrine (il n'y a pas de vie ici). Ses mains se frappent contre le même bois (chêne), contre le même tissu qui couvre le fond de la boîte (satin). Ses lèvres sont sèches (de l'eau), sa gorge râpeuse (de l'air), ses poumons vont éclater (ils sont morts).

(on l'a enterré vivant)

Il se souvient de tout.

Alastair, cache Effie ! Il avait cherché dans la maison pour les vieilles armes de son père, celles qu'ils avaient à peine appris à manier et qui manquaient bien certainement d'huile. Les balles d'argent étaient tombés de ses mains dans un concert de cliquetis frénétiques, s'éparpillant sur tout le plancher (hêtre), roulant dans ses crevasses et sous les tapis. Il avait attrapé le tisonnier et s'était retourné juste en temps pour frapper la tête d'un (vampire, loup-garou, fée, qu'est-ce que c'était, il ne sait plus) être surnaturel. Il avait tenté de fuir, tenté de sauver son frère, sa nièce, sa sœur, ses parents et (sa gorge qui se déchire sous les doigts des créatures, son ventre ouvert, ses tripes en guirlande entre leurs ongles, leurs rires, leurs hurlements, les cris en cacophonie à ses oreilles, ses yeux vitreux ouvert sur un plafond taché de sang, de son sang, de leur sang) il avait échoué.

(on l'a enterré mort)

Ses mains se relèvent pour tâter le bois du cercueil, prudemment. Ses doigts sont gourds et maladroits, mais le toucher familier du matériau noble le rassure. Son cercueil est défoncé, il s'en doute, déjà pourri et mangé par les insectes. Le bois n'en reste pas moins solide. On ne l'aurait pas enterré, pas lui, dans un mauvais cercueil. Les doigts remontent, se frottent contre le satin du coffre, le bras se tord jusqu'à ce que la main puisse atteindre son visage. Sa gorge. Tout est intact. Pas de douleur, pas de cicatrice. À son annulaire, il sent encore le poids de son alliance de fiançailles (elle le croit mort)(il est mort). Seule une pensée, en son esprit, devient impérative : il doit sortir d'ici. Tout de suite. Aussitôt, comme si cette seule décision suffisait, ses muscles se bandent et tout son corps s'arque, les chaussures cirées viennent défoncer le fond du cercueil, les bras poussent contre le bois jusqu'à ce qu'une pluie de terre tombe sur son visage. Il ne s'entend pas hurler, crier, alors qu'il pousse, qu'il rue, qu'il creuse dans le bois jusqu'à ce que ses ongles sanglants traversent le couvercle. La terre tombe dans sa bouche, sur sa langue, le corps se relève et creuse, nage, jusqu'à ce qu'une main traverse la terre. Six pieds d'effort, de force inconnue, et sa tête émerge dans un râle guttural. La nuit est noire, sans lune, et quand tout Eoghan est sorti, il s'affale sur sa tombe, désormais vide. Des larmes sillonnent son visage sale, de fatigue, de soulagement, et quand il lève la tête, c'est pour distinguer, à la lueur d'une chandelle, l'épitaphe d'une tombe. De sa tombe.


Sa main se tend, celle où l'alliance brille encore, et vient effleurer les mots gravés dans la pierre, puis la chandelle noire. Ses doigts y recueillent un liquide poisseux, qui n'a rien de la cire. Du sang. Rouge et noir sur ses doigts. Personne autour de lui, personne sauf cette chandelle recouverte de sang (et encore tout ce sang autour de sa tombe, toutes ces marques qu'il ne voit pas, tous ces symboles). Il est seul. Et surtout, il est mort.