Des secondes d'éternité. Un battement de cils. Une chute puis le choc. Il se redresse, sur ses gardes, prêt au combat. Une terrible impression de nausée. Et de déjà-vu. Sentir avant de le voir que quelque chose à changer, que quelque chose est revenu. Ou est-ce lui qui redécouvre un monde qui n'a plus été le sien depuis longtemps. Si souvent gonflé de confiance et d'aplomb, Aslander est presque décontenancé en apercevant la vie qui se meut sous ses yeux ébahis. Il connait ces terres battues par les cultures et les pas lourds du bétail, il connait les pierres encore vierges du passage des siècles, il a foulé ce sentier. Presque trois siècles auparavant. Les opales s'égarent sur l'agitation qui bourdonne aux pieds du château. Les marchands vont et viennent, les fermiers pressent leurs troupeaux et les guerriers se distinguent dans leur costume de prestance.
Il fait quelques pas dans la tumulte et au hasard d'un étalage ses doigts se referment sur le manche d'une épée. Le geste est accompagné d'un cortège de souvenirs, d'une époque presque oubliée, d'une humanité écorchée, balayée dans les tréfonds de ses pensées, dont son frère et lui sont les seuls témoins. William. L'instinct de l'aîné reprend le dessus, qu'importe le temps ou la magie (dangereuse, puissante, jamais vue, légendaire voyage à travers l'Histoire, impossible fracassé par la réalité de l'instant), il ne pense désormais plus qu'à son petit frère. Est-il aussi tombé entre les siècles et la mémoire ? Il tire l'arme de son fourreau, dérobant au camelot distrait la lame abîmée mais mortelle entre ses mains entrainées. Il observe, l'oeil à la recherche de l'éternelle veste en cuir, de la chevelure corbeau, faisant fi de sa propre apparence, détonnante d'une impossible modernité au milieu du tableau aux tons monochromes dans lequel il se déplace, fantôme d'un autre temps.

Tu as cru que quelqu’un frappait à la porte, tu avais clairement entendu ce bruit parfaitement reconnaissable. Tranquillement installé dans le canapé du salon, face à l’âtre béant de cette cheminée ancestrale, tu parcourais un livre sur l’Histoire de l’Ecosse lorsque tu avais entendu ces trois coups. Dubitatif, les sourcils froncés, tu regarde le seuil, à la recherche d’indices, parce que tu es persuadé que quelqu’un s’y tenait il y a à peine quelques secondes. Tu franchis le pas de la porte, et puis tout d’un coup, sans avoir fait trois pas dehors, tu as troqué le calme de la propriété familiale, pour un brouhaha sans nom, fait de hennissement de chevaux, de coups de marteaux frappés sur le fer chaud qu’on modèle. Les discussions qui se superposent, fourmillent à ton oreille ne sont rien, immédiatement éclipsées par la vue qui s’offre à toi et que tu croyais avoir mis derrière toi pour de bon. Le sentier est boueux, et tes chaussures sont déjà encrassées sans avoir fait le moindre pas. – You’ve got to be kidding me… maugrées-tu pour toi-même.
Un marché comme tu n’en avais plus vu depuis des siècles, avec ses cacophonies, ses odeurs qui se mélangent sans aucune règle, sans aucune harmonie.
Au loin, tu le reconnais, tu retrouves ce visage familier. Aslander. Tu n’as aucune idée de ce qui s’est passé, ni comment c’est arrivé. Tu te diriges vers l’aîné que tu as toujours tant moqué mais qui a su, à sa façon, être ton point d’ancrage pendant si longtemps. – Seems like throw back Thursday just got real, brother. Lances-tu avec ton détachement habituel, même si tu ne trompes personne, et surtout pas lui.